
19 avril 2025
Tableaux de Joseph Vernet : des Marines ou plus ?
Joseph Vernet (1714-1789) prend pied dans l’art du XVIIIème siècle à un moment de politique internationale difficile pour le royaume de France : la rivalité avec l’Angleterre a produit des guerres en Europe – la guerre de succession d’Autriche de 1740 à 1748 et la guerre de Sept Ans de 1756 à 1763. La puissance britannique sur mer repousse les frontières de son empire jusqu’aux côtes françaises, dont les ports sur la Méditerranée, l’Atlantique et la Manche deviennent des positions stratégiques majeures, voire des facteurs d’intimidation vis-à vis de l‘ennemi autant que des éléments de communication et des enjeux de fierté nationale. Louis XV et son jeune directeur des Bâtiments, frère de Madame de Pompadour, le marquis de Marigny, commandent donc à Vernet les représentations peintes de vingt-quatre ports de France, d’Antibes à Dunkerque, dont quinze seulement seront réalisés, de 1753 à 1765.
Une telle commande était largement justifiée par le talent que Vernet avait mis, dès le début de son long séjour à Rome de 1734, à 1746, à peindre les rivages de l’Italie – à Naples en particulier – avant ceux de la France. Essentiellement formé au contact de Salvatore Rosa, de Manglard et connaisseur des peintures de Claude Lorrain, il avait choisi son chemin personnel – ni héroïque, ni nordique ni mythologique – tout en prenant au dernier son attention à la lumière et aux effets atmosphériques.
Le succès de sa peinture se traduisit par la faveur d’une nombreuse clientèle. Selon Lagrange, son premier biographe en 1863, il ne reçoit pas moins de quarante commandes au cours de l’année 1746. Ses clients sont avant tout les Anglais qui accomplissent en Italie leur Grand Tour, et souhaitent en rapporter les souvenirs de leurs éblouissements devant le monde méditerranéen. Son intermédiaire, Mark Parker, irlandais d’origine mais devenu capitaine des galères pontificales, lui procure cette précieuse pratique. Le peintre en épousera la fille en 1745, et rentre avec elle en France pour accomplir la commande royale à partir de 1751. Ces tableaux sont aujourd’hui partagés entre le musée du Louvre et le musée de la Marine à Paris.
Dès lors, tout en poursuivant son métier de peintre de marines en multipliant les éclairages selon les heures du jour et les états météorologiques avec une précision rarement atteinte en peinture, il y ajoute une faculté d’observation confondante des activités humaines associées aux paysages réels ou recomposés. La Madrague ou la pêche au thon (1755, Musée du Louvre) qui anime la vue du golfe de Bandol, associée aux Vues du Port de Toulon, est un document exceptionnel sur la vie économique des régions qu’il traverse, et une source précieuse de la connaissance du contexte écologique de son siècle.
L’apport de Joseph Vernet à la peinture de marines est cependant ailleurs : son expérience du voyage en mer, les récits qui circulent d’autres marins de métier ou d’occasion, le font associer presque systématiquement aux Calmes des Tempêtes qui sont de véritables drames, l’évocation de l’horreur absolue faisant irruption dans le quotidien. Le nombre de ces Naufrages en dit long sur le goût de sa clientèle autant que sur la menace constante de la catastrophe dans la vie de tous les jours, la présence menaçante du destin, la crainte que peut inspirer, à l’inverse du plaisir élégiaque de la contemplation de la Nature, la violence de ses caprices. Volaire, élève studieux de Vernet, avec ses éruptions du Vésuve, Loutherbourg avec ses accidents de berlines de voyage sont dans le droit fil de ces drames. Il faut y voir sans doute l’amorce d’un mouvement esthétique profond qui conduira au Romantisme, une source du « Levez-vous, orages désirés... » de Chateaubriand. A la prodigieuse habileté technique de Vernet s’ajoute l’inquiétude d’une époque, non pas sourde mais au contraire visible dans ces prémisses de bouleversements sociaux et politiques à venir.
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